Exposition "Paréidolie, les murs et les forêts" d'Hadrien Lenoir
Interview d'Hadrien Lenoir
À l'occasion de son exposition ""Paréidolie, les murs et les forêts", qui se tiendra jusqu'au 30 juin prochain à Montcuq, dans le département du Lot, Hadrien Lenoir vous propose dans cet entretien de découvrir son univers à la fois singulier et poétique.
Hadrien Lenoir, vous vous définissez comme "un homme qui n'existe pas". Que voulez-vous dire par là ? Quel est votre parcours ?
Je préfère que l’on s’intéresse à mon travail photographique, plutôt qu’à ma personne.
J’ai une deuxième activité qui rassemble toutes mes expériences dédiées à l’image fixe. En dissociant l’auteur de l’entrepreneur, j’essaye aussi de protéger les deux de cette injonction très française, qu'il faut occuper une case précise pour être crédible. Chez les anglo-saxons, c’est la complémentarité des cases que vous cochez qui suscite, à juste titre, l’intérêt et vous permet d’exister, de vous réaliser, dans plusieurs réalités à la fois.
Dans un texte de Natacha Nataf au sujet de votre œuvre, on trouve cette citation de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles : "le temps est un être vivant". Selon vous, la paréidolie se confine-t-elle au domaine de l'imaginaire, où y voyez-vous le reflet de dimensions, de mondes qui seraient imperceptibles pour nos sens ?
En préalable, la paréidolie est considérée comme étant un « phénomène », classé aussi bien dans la famille des illusions d’optiques, que celle de la neuropsychologie.
Lorsque j’ai commencé à explorer les textures minérales et végétales, j’ai découvert des bestiaires oniriques qui m’étaient invisibles à première vue. La lumière éphémère de l’aube et de l’aurore, met au jour un univers complexe habité de créatures étranges, chimériques, effrayantes, poétiques ou fantaisistes, évoquant le merveilleux. Elles prennent vie lorsqu’elles sont animées par les ombres portées, elles-mêmes soumises aux caprices des nuages et du vent. C’est cette conjonction souvent imprévisible qui crée ces rencontres improbables et clairement perceptibles, à la condition de lâcher prise pour laisser libre cours à son imagination. Lewis Carroll a raison : "le temps est un être vivant".
C’est donc de façon totalement fortuite, que la paréidolie s’est inscrite dans mon processus de création et qu’elle en est devenue une de ses composantes. Ses dimensions sont proportionnelles à notre capacité à les interpréter. La forme dans la forme dont le dessin se révèle à mes yeux, est bien réelle, mais l’identification que j’en fait est le fruit de mon interprétation. Elle passe par le filtre de mon imaginaire. Ce qui est perceptible pour moi, ne l’est pas forcément pour l’autre et inversement.
Quelles ont été les étapes de l'élaboration de cette série "Paréidolie, les murs et les forêts" ?
Lors d’un voyage au Portugal, j’ai découvert par hasard, dans la région montagneuse de Lousã, les ruines d’un moulin à papier. Au soleil couchant, les murs écorchés de la longue bâtisse révélaient de fascinantes textures, qui disparaissent peu à peu dans l’ombre. Avant qu’il ne soit trop tard, je me suis empressé de réaliser quelques gros plans. Le lendemain matin, toute la forêt était sous la brume. J’y suis allé. La petite route forestière s’est effacée du GPS en même temps qu’elle se transformait en chemin de terre, bordé de ravins. Derrière le brouillard, le soleil n’était jamais loin. Il allumait par intermittence des contre-jours d’une puissance extraordinaire. Les strates successives des rideaux d’eucalyptus s’embrasaient ou, au contraire, se noyaient dans l’humidité. Je me suis arrêté avant que la magie ne cesse. La végétation était gorgée d’eau et scintillait sous une lumière irréelle. Je suis descendu de la voiture. L’odeur de l’humus était saisissante. J’ai ouvert le hayon qui me protégeait de la pluie, choisi un objectif, attaché mon parapluie à un trépied et fixé le boitier. Le temps n’existait plus. C’est là que tout a commencé, que s’est esquissé "Paréidolie, les murs et les forêts ".
J’ai poursuivi mon exploration de façon intuitive au gré de mes voyages, qu’ils lui soient dédiés ou non et à chaque étape, je cherche un mur et son biotope végétale. L’exposition de Montcuq regroupe les six premières. Il y en a d’autres à venir, en milieu rural et urbain. Ce projet est aussi un voyage intérieur qui s’arrêtera le jour où je perdrai les sensations qu’il me procure. Celles que j’éprouvais à l’adolescence, lorsque j’ai commencé à pratiquer la photographie. C’est par le prisme de l’objectif de mon appareil photographique que la force de la beauté du monde m’apaisait. Je trouvais le cadre à l’instinct et j’appuyais sur le déclencheur après un long moment de contemplation. Cela me procurait un bien fou. Je ne savais pas le nommer, maintenant je sais.
Comment le nommez-vous ?
Le portail.
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
Au regard de l’intention du projet, cela tombait sous le sens. Au contraire de la réalité colorimétrique, le noir et blanc nous projette dans l’intemporalité. Sa puissance nous ouvre à d’autres dimensions d’interprétations dans lesquelles j’aime naviguer. Ce sont les principaux intérêts que je lui porte, avec celui qu’il impose une grande rigueur d’exécution qui repose au préalable, sur une compréhension et un travail exigeant de la lumière, sans lesquelles la magie des textures et de la composition n’opèrerait pas.
Quelle est votre approche de la photographie ?
J’aime l’image qui nous interroge au-delà de l’émotion esthétique qu’elle nous renvoie, quels que soient sa thématique, sa facture et les moyens techniques mis en œuvre pour la réaliser. Les plus simples sont souvent les plus efficaces, tout dépend des enjeux de l’intention et de notre capacité à leur faire face avec le matériel dont on dispose. Pour « Paréidolie, les murs et les forêts », je tends à exploiter le moindre détail qui, de jour comme de nuit, peut apparaître et disparaître en une fraction de seconde. Lorsque je n’ai pas eu le temps d’en saisir l’image, j’essaie de la faire réapparaître en recréant la même lumière à l’aide d’une unique source lumineuse artificielle.
Je peux utiliser la bascule de mon objectif pour rattraper la faible profondeur de champ de l’optique en macro, ou au contraire, pour accentuer l’abstraction de l’image. Ma mise au point est majoritairement millimétrique. La dimension et la qualité limitées de l’écran LCD du boitier numérique, ajoutées aux reflets de la lumière ambiante du jour, ne permettent pas toujours de contrôler la captation avec une grande exactitude. Même en zoomant au maximum dans l’image et en me couvrant la tête d’un drap noir, pour ce type de prises de vues, il n’est pas aisé non plus, de s’assurer d’avoir obtenu l’intégralité du dessin existant dans les hautes lumières et les forces.
J’ai donc choisi de shooter en couleur pour que mes fichiers RAW possèdent un maximum d’informations neutres et sans aucune interprétation, ce qui ne serait pas le cas si je paramétrais le boitier en noir et blanc. Ce processus ne m’empêche pas d’imaginer en noir et blanc ce que je vois en couleur dans le cadre de mon viseur, comme je le ferais avec un boitier argentique chargé d’un film monochrome. Je gère ma post-production sur un grand écran auto-calibré une fois par semaine. Il est profilé à l’identique de celui de mon tireur, condition pour qu’il puisse lire objectivement le rendu de mon travail.
Comme je connais les images que je souhaite exploiter, l’éditing me permet de me conforter sur mon choix, mais il me sert surtout à ne retenir que les images dont la conjonction des paramètres techniques de la prise de vue est optimale, pour le type de développement souhaité. J’opère la bascule en noir et blanc, la nuit, à partir du précepte que j’ai établi. Je l’adapte au cas par cas en respectant certaines limites, soit sur toute l’image ou à l’intérieur de masques si nécessaire. Le but étant d’obtenir le contraste en opposant les lumières aux forces ou inversement, tout en gardant du détail dans ces valeurs clés et de produire une gamme de gris la plus riche possible. C’est ce qui me permet d’obtenir une restitution à la facture homogène, cohérente avec le projet et sans surprise significative au tirage.
L’impression pigmentaire sur papier pur coton baryté est réalisée par Yann de chez Dahinden, un tireur très expérimenté et surtout sensible à mon travail, avec lequel j’ai plaisir à partager notre passion commune pour le noir et blanc.
Que pouvez-vous nous dire à propos de cette exposition ?
J’aime la poésie du détail, ce qui me conduit à devoir porter mon attention sur ce qui échappe habituellement à mon regard et au degré de lenteur nécessaire pour voir, comprendre et essayer d’apprécier notre monde autrement. Ce projet est une métaphore de la rencontre, de l’altérité.
L’exposition offre deux lectures. Celle d’une histoire propre à chaque image, mais aussi celle que ces images nous racontent, lorsqu’elles sont réunies ensemble. Quand j’ai découvert le territoire du Quercy-Blanc, j’y ai vu la magnificence de son environnement minéral, végétal, animal, l’attachement particulier des gens à leur terre et leur envie de le partager. Un ami m’a montré deux mûriers multi-centenaires que j’ai photographiés du crépuscule à l’aube.
En guise d’hommage, le parcours de l’exposition à la librairie-galerie Livres, Books & Co de Montcuq-en-Quercy-Blanc, se clôt sur ces mûriers. Une vieille maison, un salon de thé ouvert sur un jardin suspendu, où les livres, les œuvres, la musique se mêlent et confèrent aux lieux une harmonie singulière.
Quels sont les artistes, les œuvres qui inspirent le plus votre univers créatif ?
Pour ne parler que de celui du noir et blanc, je me suis intéressé à ses fondamentaux à la fin de mon adolescence. J’ai d’abord découvert les photographes humanistes français, Robert Doisneau, Brassaï, Willy Ronis, Édouard Boubat, Henri Cartier-Bresson…, puis le travail de Jean-Loup Sieff et celui d’Helmut Netwon que j’ai eu la chance de rencontrer à Monaco, lorsque j’étais l’assistant de Gaëtan Luci, photographe officiel de la principauté. Il m’a permis d’assister à ses briefs par l’entremise de son tireur Jean-Marc Pharisien. Ce dernier m’a beaucoup appris et révélé l’œuvre d’Ansel Adams et sa méthode du « zone system » qui inspire toujours ma post-production. Par la suite, j’ai été très sensible aux regards de Dorothea Lange et de Walker Evans, de Richard Avedon et d’Irving Penn, Paul Strand, Laura Gilpin, Imogène Cunningham et d’André Kertész en particulier. Je ne peux pas tous les citer, ni parler des autres médiums artistiques qui me servent également de boussole, au même titre que quelques géants de la littérature américaine, tel que John Fante, Raymond Carver, Jack London… L’inspiration est le résultat d’une quête sans fin qui finit par être inconsciente, tant que votre curiosité est animée par ce qu’elle vous permet de découvrir. C’est ce cheminement qui selon moi, conduit chaque photographe à trouver sa signature artistique, ou plus modestement, à poser son empreinte parmi des milliers d’autres.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?
J’ai commencé à explorer le rapport des mains à l’instrument de musique et en parallèle, à réfléchir sur une thématique autour de la mécanique du temps.
Exposition "Paréidolie, les murs et les forêts"
Librairie-galerie Livres, Books & Co. à Montcuq-en-Quercy-Blanc
Jusqu'au 30 juin 2024
Les tirages exposés ont été réalisés par Dahinden
Hadrien Lenoir est représenté par L’Étoile de l’Ours
Pour en savoir plus sur l'activité de ce photographe, rendez-vous sur le compte Instagram de la maison d'édition L'étoile de l'ours.