Une autre empreinte : interview de Florence Joubert
Suite et fin de notre série d’interviews des trois lauréats de l’édition 2023 d’Une autre empreinte - prix photo Dahinden !
Florence Joubert est une photographe qui s’intéresse à des thèmes tels que la science, l’architecture ou le patrimoine, et aux métiers qui s’y rapportent.
Soutenue par FujiFilm France, elle travaille régulièrement avec la presse (Polka, le Parisien, l’Obs…) et est membre du collectif les Sismographes. Sa série « Gardiens du Temps » a été exposée en 2019 aux Promenades photographiques de Vendôme, au Forum International de la Météo et du Climat à Paris, et à Vannes Photo Festival en 2020.
- Comment vous présenteriez-vous ?
Je suis photographe professionnelle depuis 20 ans. Je m’intéresse aux savoir-faire et aux métiers dans les domaines du patrimoine, de l’architecture, et de la science.
Je collabore avec des entreprises, avec la presse, et travaille également à des projets personnels, qui traitent souvent de personnages aux modes de vies atypiques et en lien étroit avec la nature.
- Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
La peinture, les arts plastiques en général, la littérature, la philosophie, le cinéma.
- Pourquoi avoir choisi cette série en particulier lorsque vous avez candidaté au prix ?
« Gardiens du Temps » raconte l'histoire des derniers météorologues et résidents permanents de l’Observatoire du Mont Aigoual, qui résistent aux conditions climatiques extrêmes de cette montagne des Cévennes, et à la disparition de leur métier. Le projet s’attache à montrer leur lien intime au temps sous toutes ses formes. La fin de la présence de ces météorologues à l’Aigoual, actée en 2023, témoigne également des relations entre problématiques sociales et écologiques.
La station du Mont Aigoual est un haut lieu des sciences de la météo et du climat. Les données, glanées pendant 126 ans par les générations d’observateurs qui s’y sont succédés, en ont fait un centre labellisé par l’Organisation Mondiale de la Météorologie, et constituent un précieux patrimoine pour les recherches sur le climat.
Car à l’Aigoual, depuis 1897, on étudie le ciel et ses états, et jusqu’en 1943, on consigne aussi les phénomènes qui s’y associent, telles les migrations d’oiseaux ou la défeuillaison des hêtres.
Ces derniers météorologues vivant à l’année dans l’observatoire, sont ainsi dépositaires d’une tradition scientifique naturaliste. Tout en intégrant les technologies modernes, ils perpétuent une pratique de « terrain » sur cette montagne baignée de brouillard 240 jours par an.
Pour survivre à la menace de fermeture déjà présente depuis plusieurs décennies, ils ont monté, depuis les années 90, une exposition pédagogique sur la météo, destinée à un public friand de récits de cette vie au sommet, et curieux d’en savoir davantage sur les différents nuages ou les principes de la prévision. Les anecdotes sont devenues des légendes et l’Observatoire et ses gardiens une institution historique et scientifique incontournable.
Malgré cette épopée, ils quitteront le mont Aigoual en 2023. En cause, le progrès technologique avec l’automatisation des stations météos désormais généralisées chez Météo-France. Mais aussi les conséquences d’une triste volonté politique. Si le site a heureusement été racheté et réhabilité par la Communauté de communes Causses Aigoual Cévennes, l’état s’est désengagé du projet, en décidant de ne maintenir aucun météorologue sur place.
L’heure est à la suppression de postes dans le service public et les résidents du mont Aigoual n’ont pas fait exception, malgré l’attrait incroyable qu’ils suscitaient auprès du public, et le rôle de phare que jouait l’observatoire au sein du territoire.
Quel terrible paradoxe… Ces météorologues appartiennent à un monde qui aujourd’hui disparaît dans l’indifférence, alors que leur mode de vie fascine toujours et donne une matière à rêver à notre société en mal d’imaginaire.
Pour moi, leur histoire témoigne d’un mal plus profond, et bien plus vaste que les émissions de CO2 qui malmènent notre planète.
Je le vois comme un tout. Si nous ne pouvons nous respecter nous-même et préserver ce qui fait notre humanité, si nous cessons de cultiver les liens poétiques qui nous unissent au monde, comment alors protéger cette planète ?
A mon sens, le dérèglement climatique est avant tout la conséquence d’une rupture spirituelle profonde, qui consiste à valoriser une vision utilitariste du monde, et à nier notre appartenance structurelle au tout qu’est la « nature ».
Mon projet s’attèle à l’exploration de ces liens poétiques et secrets, et la célébration de ces métiers bientôt oubliés, à travers une interprétation personnelle, qui emprunte à la mythologie tout en suivant une trame documentaire. L’Aigoual, auréolé d’une mer de nuages, prend des allures de mont Olympe. Les scientifiques, transfigurés en personnages démiurges semblent faire naître les phénomènes météos au dedans, ou y convoquer les éléments pour une dernière danse. Une immersion onirique et mélancolique au fil des saisons, dans la vie de ces ultimes gardiens d’un monde en désuétude.
- Pouvez-vous nous parler des procédés photographiques utilisés pour cette série de photos ?
J’ai travaillé en numérique, d’abord avec un 24*36 Canon, puis grâce à des prêts de FUJI, avec un moyen format (GFX 50). Le moyen-format demande plus de rigueur, et nécessite d’accorder plus de temps aux prises de vues. Or vous l’avez compris, tout dans ce projet était une affaire de temps!
Je cherchais un outil maniable, mais donnant des images très « piquées », et qualitatives, pour mon travail de portraits, mais aussi pour produire des paysages d’une grande puissance atmosphérique, afin de restituer l’ambiance du sommet.
J’ai d’abord fonctionné comme en reportage, suivant les météorologues dans leur quotidien, pour aller ensuite vers des images plus construites, pensées en amont et plus posées. Pour l’extérieur, j’ai tâché d’être présente à chaque situation météorologique intéressante, dans des conditions parfois extrêmes.
Je travaille toujours mes séries en mettant en dialogue différents types d’images, en veillant à une unité graphique et narrative.
- L’exposition de vos œuvres et de celles des deux autres lauréats du prix photo Dahinden – Une autre empreinte aura lieu sur les quais de Seine, durant la Biennale Photoclimat (du 14 septembre au 15 octobre). Avez-vous d’autres projets ou expos à venir ?
Et bien j’espère qu’il y aura une exposition des Gardiens du Temps à Paris Photo en novembre. Mais pour cela il faut que je remporte le vote du public !
Par ailleurs, je travaille depuis deux ans sur un vaste projet, « Homo Aquaticus », qui explore les liens primitifs existant entre l’Homme et la mer, et nos probables origines marines.
Pour plus d’informations sur Florence Joubert et pour suivre son actualité, rendez-vous sur le site web de la photographe !
Pour permettre à votre lauréat favori de remporter une exposition de ses œuvres lors de la prochaine édition de Paris Photo, du 9 au 12 novembre prochains, vous pouvez voter en sa faveur via ce formulaire.
La série “Gardiens du temps” sera exposée sur les quais de Seine dans le cadre de la deuxième édition de la Biennale Photoclimat, du 14 septembre au 15 octobre, et dans un des showrooms parisiens de notre partenaire Roche Bobois au printemps 2024.